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Genève, pour une transition énergétique ambitieuse

Ecologie

18 octobre 2019. Le Grand Conseil genevois vote la motion 2520 en réponse à l‘appel des jeunes pour le climat. Le 4 décembre 2019, le Conseil d’État déclare l’urgence climatique et fixe des objectifs ambitieux pour le canton : une réduction de 60 % des gaz à effet de serre à l’horizon 2030 et la neutralité carbone en 2050. Un an plus tard, une ambitieuse stratégie se dessine, alors que le Conseil d’État vote le Plan directeur de l’énergie. Cédric Petitjean, directeur général de l’Office cantonal de l’énergie, en présente les principales lignes directrices chez HiFlow.

Par Zelda Chauvet

Le plan directeur, c’est une stratégie véritablement ambitieuse, un défi ?

Ce Plan directeur de l’énergie a fait l’objet de nombreux travaux et est mis en cohérence avec le plan climat cantonal, présenté début juin par le Conseil d’État. Il fixe des nouveaux objectifs et une ambition partagée avec les différents milieux. Le défi est majeur pour notre canton, parce que la neutralité carbone à l’horizon 2050, c’est la société à 2000W sans nucléaire. Cela signifie que nous devons diviser par 3,5 la consommation d’énergie par personne et multiplier par 3 la part d’énergies renouvelables. C’est un défi aussi parce que ces chiffres marquent une rupture profonde dans notre façon d’appréhender notre consommation d’énergie, un changement de paradigme fort qui appelle chacune et chacun à s’engager autour de cette transition énergétique. 
Cette transition est porteuse d’opportunités pour notre canton. Elle permettra au tissu économique genevois de s’épanouir et à ses habitants de pouvoir vivre dans un environnement beaucoup plus agréable. Un Green New Deal pour Genève, c’est le programme voulu par Antonio Hodgers, Conseiller d’État en charge du département du territoire. 

Concrètement, comment cela se manifeste ?

Tout d’abord, en consommant mieux et moins. Il s’agit en effet de consommer responsable et de consommer local. Autrement dit, le Plan directeur décline de façon opérationnelle les objectifs de la politique énergétique, qui s’articule autour de deux axes prioritaires. Le premier est la consommation qui permet de réduire la demande en énergie thermique (sobriété, rénovation du parc bâti, efficacité énergétique) et de maîtriser la consommation d’électricité. Le deuxième axe est l’approvisionnement, autrement dit l’optimisation de l’utilisation des ressources énergétiques du territoire, la valorisation des énergies renouvelables, les infrastructures réseaux et les technologies de stockage.
Le programme de ce Plan directeur de l’énergie s’oriente avec une responsabilité forte de l’Office cantonal de l’énergie (OCEN). Il se focalise sur le périmètre de ses responsabilités en incarnant une réponse aux besoins thermiques des bâtiments, une grosse production et consommation d’électricité et un déploiement des grandes infrastructures. Son programme d’actions se décline selon 5 grands axes que sont la sobriété, l’efficacité, les ressources, les stockages et gestion, ainsi que les infrastructures. 28 fiches actions définissent des objectifs à court, moyen et long terme. Elles précisent les rôles et les responsabilités des différents acteurs impliqués. 

Comment imaginez-vous engager ces acteurs ?

Nous sommes dans une démarche de co-construction. Le Conseil d’État a voulu que ce Plan directeur ne soit pas un outil d’administration pour l’administration, mais bien un outil de l’administration avec ses partenaires, des milieux professionnels, institutionnels et notamment les instituts de formation. Ce projet a été bâti en concertation avec l’ensemble des parties concernées. L’exemplarité de l’État et des acteurs publics est également mise en avant. La question énergétique est prise en compte dans toutes les politiques publiques. Nous adoptons une logique collective et inclusive, qui permet l’engagement de toutes et de tous autour de cette transition énergétique, pour accélérer la transition. Il est important de comprendre que ce Plan directeur est un outil de création de valeur locale au sein de notre canton qui touche l’ensemble de la société. Nous pouvons créer ensemble un nouvel écosystème vertueux, vecteur de bien être, de croissance et de richesses locales durables.

Quels sont les défis énergétiques auxquels le canton est confronté ?

Nous avons identifié 8 défis énergétiques, auxquels les 5 axes du Plan directeur cherchent à répondre. L’objectif est de (1) diminuer les besoins de chaleur et de froid du parc immobilier, (2) de sortir du chauffage fossile pour le parc bâti, (3) de déployer les réseaux thermiques structurants, (4) de généraliser une utilisation efficace et rationnelle de l’électricité, (5) d’anticiper les conséquences du changement climatique sur la production et la consommation, (6) d’orienter la mobilité vers des modes de déplacement décarbonés et maîtrisés, (7) de promouvoir des modes de consommation plus durable et locale, et (8) de réduire la dépendance aux énergies fossiles. 

Quelles sont les priorités de la politique énergétique genevoise ?

La première, et c’est un enjeu majeur, est la sortie du fossile. Nous ambitionnons de sortir du chauffage fossile d’ici 2030. Depuis 2020, à Genève, nous ne construisons plus des bâtiments neufs avec des installations fossiles. À titre indicatif, en 2018, la consommation d’énergie fossile pour l’alimentation thermique des bâtiments et des entreprises était de 4600GWh. En 2030, elle devra être de 2200GWh. 
La deuxième priorité consiste en la rénovation et l’optimisation des bâtiments. Nous avons aujourd’hui environ 1% de rénovations sur le canton par an. En 2030, nous voulons 2,5% de rénovations. C’est une étape indispensable pour diminuer l’empreinte carbone de notre parc immobilier qui correspond à 50% de la consommation genevoise.
La troisième priorité, qui n’est pas la moindre, est le déploiement de réseaux thermiques dans le but de chauffer et rafraîchir les bâtiments grâce aux énergies renouvelables et locales. On peut citer GeniLac ou Cadiom en exemples. Ces réseaux sont au nombre de 120 km aujourd’hui. En 2030, ils auront plus que doublé. Nous aurons 250km de réseaux. En outre, nous cherchons à augmenter la part d’énergie renouvelable et de récupération de chaleur dans ces réseaux, avec un objectif de 80%.
La quatrième grande priorité est la valorisation des énergies renouvelables. Un exemple est la valorisation du solaire photovoltaïque. À Genève, nous produisons 50GWh par an et ambitionnons d’atteindre 350GWh d’ici à 2030, soit 200 terrains de foot de toiture. Ceci signifie que nous devrons valoriser non seulement les toitures, mais aussi les façades comme éléments constructifs.

Comment mobiliser les acteurs pour atteindre ces objectifs ambitieux ?

La transition énergétique se fera avec toutes et tous. Elle passera par la mise en place de conditions cadres claires pour offrir visibilité et prévisibilité. Des modifications légales constitutionnelles réglementaires sont à venir pour contribuer à une bonne connaissance des enjeux. Cela nécessite non seulement une mise en mouvement coordonnée des acteurs dans le développement économique et la création d’emplois durables mais également le développement de compétences et de green jobs par le biais de formations pertinentes. Enfin, nous devons identifier, promouvoir et partager les meilleures pratiques en matière de sobriété et d’efficacité énergétique. La transition énergétique se fera avec les succès les échecs de tous les projets. C’est pourquoi, nous avons besoin de retours d’expériences.

Pourquoi la formation joue-t-elle un rôle si important ?

Former les professionnels, former les jeunes, former tout un chacun à l’utilisation rationnelle de l’énergie permettra de créer des richesses locales, une véritable culture locale. Nous voulons, avec l’aide de tous les partenaires institutionnels et privés, accompagner les jeunes les professionnels et les reconversions. La transition énergétique nécessite de nouvelles compétences. Ces nouveaux métiers, qui fourniront les emplois de demain, impliquent de repenser profondément l’offre de formation, initiale comme continue, de l’apprentissage aux hautes écoles. Il s’agit d’un chantier prioritaire pour former les professionnels de l’énergie et du bâtiment dont Genève a besoin et favoriser l’émergence desdits green jobs pourvus par des talents locaux.

Comment définiriez-vous la stratégie d’accompagnement du canton dans le processus de transition ?

Pour réussir la transition, il y a la politique de la carotte et du bâton. Le bâton, ce sont les modifications légales et réglementaires. À l’horizon de ces prochains mois, une modification réglementaire sera adoptée par le Conseil d’État, nous l’espérons, pour réduire l’indice annuel de dépenses de chaleur à 450 MJ par m². Aujourd’hui, cet indice se situe autour de 600, 800 et 900. L’abaissement nécessaire est donc relativement drastique. Autre élément réglementaire : le contrôle des performances des bâtiments. L’enjeu est important, car construire, c’est bien, mais utiliser le bâtiment de façon optimale et s’assurer que les installations soient équilibrées est indispensable. 
La carotte, ce sont 34 millions de francs de subvention en 2021 pour le programme bâtiments- programme subventionné par la Confédération, le Canton et les Services Industriels de Genève-  qui accompagnent la rénovation ainsi que la substitution d’énergies fossiles par des installations renouvelables. Des actions complémentaires sont définies par le programme GEnergie, un programme d’action coordonné avec les Services Industriels de Genève et son programme Eco-21 ainsi que des solutions de financements, incitations fiscales en développement.

Pourquoi la transition est-elle importante selon vous ?

Je crois vraiment en cette transition énergétique qui nous permettra de créer de la valeur locale avec un souci de qualité de vie pour notre population. Tout ce que l’on peut faire localement est beaucoup plus simple que lorsqu’une action doIt être engagée à distance. Nous voyons la différence tous les jours, nous voyons le changement, il est sensible, maintenant. Il s’agit d’un changement en profondeur, d’un changement de paradigme. C’est une culture complète qui a changé. Le changement ne se verra pas en une journée, mais on sent qu’il y a une lame de fond, un vrai enthousiasme. C’est par cet enthousiasme que nous sommes portés à relever les défis comme les difficultés afin de transmettre aux générations futures une société neutre en carbone, résiliente et respectueuse de l’environnement.