À lire

Interview d’Anaïs Emery, directrice du GIFF

Le 20 Fév 2023 Création Innovation

Entretien avec Anaïs Emery, Directrice Générale et Artistique du Festival international du film de Genève (GIFF), sur la scène de création numérique en Suisse Romande. Bien que la scène soit encore jeune, sa diversité et sa créativité promettent beaucoup pour l’avenir.

Comment décrire la création numérique en Suisse romande ?

Une définition rigide n’existe pas à ce jour car la scène de la création numérique suisse romande est encore dans une phase d’émergence. Ce milieu hautement créatif constitue le principal gisement d’innovation audiovisuelle en Suisse. Somme toute, elle émane d’un milieu déstructuré qui ne permet pas encore de vision à moyen ou long terme. Le cœur de notre création locale bat au rythme de projets ou d’occasions unique

Quelles en sont les forces et comment se différencie-t-elle de ce qui se fait ailleurs ?

La différence fait précisément la force. La création numérique romande est particulièrement prometteuse car elle propose des approches plurielles de la création numérique. Les studios actifs vivent sur des modèles d’affaires très diversifiés qui s’adaptent à leur champ de compétence spécifique. Ainsi des visions fortes et des expériences originales peuvent émerger si un terrain durable et sain se développe.

Quelles tendances se dessinent aujourd’hui, que cherchent à explorer les créateurs aujourd’hui ? Tant d’un point de vue narratif que technologique ?

Dans le cadre de notre veille stratégique, nous constatons que l’interaction et la mobilité au sein des univers narratifs numériques captent l’attention des créateurs·trices. Ces deux terrains d’exploration offerts par les dernières technologies de l’image se complètent par des propositions de performances en direct qui ouvrent des champs fascinants.

Quel rôle joue la recherche et le milieu académique dans le processus de création ?

Les nouvelles technologies de l’image issues du milieu de la recherche peuvent faire évoluer significativement la création numérique en termes de fluidité, d’interaction et de mobilité pour ne citer que ces domaines. La coopération et le dialogue sont donc essentielles afin de faire coïncider les visions scientifiques et créatives et agrandir le champ des possibles dans l’utilisation des technologies à des fins créatives. En outre, la création numérique partage avec le milieu de la recherche les processus itératifs ainsi qu’un besoin constant de mise à jour des outils et supports technologiques

Comment construire et renforcer le dialogue entre les chercheurs et les créateurs ?

A mon sens, il faudrait multiplier les points de contact et proposer un maillage adapté à chaque projet, œuvre et développement scientifique. Des centres de compétence tel que le Geneva Digital Market organisé en marge du GIFF opèrent dans ce sens. Il n’est pas le seul acteur à proposer un tel support.  Ce type d’initiatives est nécessaire pour faire sortir un vrai esprit de coopération entre le monde académique et la scène créative.

Comment rendre cette forme créative plus « grand public » ?

Pour permettre à un large public de connaître et d’accéder à la création numérique contemporaine il s’agit de renforcer la distribution et l’accès aux œuvres. La qualité des premières expériences publiques aura une influence déterminante sur l’évolution de leur intérêt. D’où l’importance de la curation et de l’accompagnement des programmes numériques.


Peut-on dire qu’il y a un marché aujourd’hui pour les œuvres numériques ? Si oui, à quoi ressemble-t-il ? A qui se destine-t-il ?

L’industrie internationale est florissante mais elle draine principalement des œuvres mainstream. Sur les plateformes des grandes enseignes, le public est capté dans la queue de comète du jeu vidéo. Pour offrir un meilleur accès à la diversité de l’offre, une action sur des plans multiples sera nécessaire : l’accès au marché pour les artistes, la distribution et la valorisation de la création locale et finalement la médiation. En effet, les relais prescripteurs tel que les festivals, la presse, les influenceurs et le bouche-à-oreille constituent un levier majeur dans la création de nouveaux publics. Gardons en tête que dans le nouveau contexte qui se met en place le changement devient la norme.

Comment le GIFF contribue-t-il à dynamiser ce marché et à encourager la création numérique ?

Nous agissons sur deux plans. Le plus visible est la promotion auprès d’un large public de la diversité et qualité de production numérique internationale dans le cadre des Territoires virtuels. Le second plan, le Geneva Digital Market (GDM), est moins visible mais propose une action structurante essentielle. Le GDM propose plusieurs activités destinées à promouvoir les talents du numérique et à faciliter l’accès au marché de leurs œuvres ainsi qu’aux technologies qu’elles recèlent.

De quoi aurions-nous besoin en Suisse de façon générale, et en Suisse romande pour encourager davantage la création numérique et lui faire mieux rencontrer son public ?

Nous devons saisir l’opportunité offerte par la conjoncture actuelle pour communiquer et convaincre d’encourager financièrement la création numérique et toutes les actions structurantes qui agissent positivement sur son terreau. Le GDM et le GIFF portent ce message depuis plusieurs années. Aujourd’hui, je suis ravie que la Fondation pour la Création Numérique arrive sur le terrain pour diffuser et renforcer ce message.

Quel type d’œuvre rêveriez-vous de découvrir ?

Je rêve de rester curieuse et d’être continuellement surprise.